Anita Conti

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Connaissez-vous beaucoup d’océanographes qui soient à la fois ethnologues, écrivaines et humanistes ? Anita Conti était de ceux-là. Appareil photo argentique autour du cou,  carnet et stylo à la main, c’est un regard unique qu’elle nous délivre : celui d’une femme au sein d’un monde d’hommes, celui de l’océanographie et de la pêche. Jusqu’à ses 98 ans, elle vivra pour la mer. 

Devenue la première femme océanographe de France, également reconnue comme une photographe émérite du XXe siècle, cette aventurière a sillonné bien des rivages à bord de bateaux de pêche et d’expéditions scientifiques. Dès les années 1930, la “Dame de la mer” alerte sur les conséquences de la pêche intensive et sur le réchauffement des eaux.

 La passion du large, unique phare d'une existence

Initialement relieuse d’art, née dans une famille aisée à la fin du XIXe siècle, Anita Conti a conservé intact son lien à l’océan, tout droit tiré de son enfance. “J’ai su nager avant de savoir marcher” s’amusait-elle à rappeler. En 1914 lorsque sa famille se réfugie sur l’île d’Oléron, elle y découvre la voile, la photographie… et embarque pour la première fois sur des bateaux de pêche - une passion naît. 

Fascinée par le monde aquatique et guidée par une insatiable soif d'apprendre, elle multiplie les sorties en mer, s’imprègne de la dure vie des marins, parcourt nombre de livres sur l’océan, sa faune et sa flore… tout en publiant elle-même des articles sur ces sujets en parallèle de son travail. Elle se fit ainsi remarquer par l’Office Scientifique et Technique des Pêches maritimes qu’elle intégra en 1935.

Comprendre le fond pour lancer l’alerte… à la surface

Embarquée à bord du premier navire d’océanographie français, Anita Conti arpente les mers du globe pendant 4 ans. Du Golfe de Gascogne jusqu’au Canada en passant par la mer d’Irlande, elle observe, cartographie et comptabilise les ressources halieutiques. Elle constate alors, dès les années 1930, la diminution des stocks de poissons. 

Son regard unique vient de sa capacité à s’être glissée au cœur du monde scientifique alliée à son expérience des navires de pêche comme le chalutier Viking sur lequel elle a embarqué en 1939 pour une campagne de pêche à la morue. Le vécu croise soudain les statistiques : les bras des bateaux engloutissent des bancs entiers de poissons, les dérobent aux fonds marins pour jeter les dépouilles sans vie des espèces non désirées par dessus bord. Les centaines d’autres poissons sont stockés dans des cales sans fond. Quasiment personne ne parlait alors de surpêche. Anita, elle, déclarait il y a plus de 80 ans :

« Les champs marins auraient-ils besoin, comme les champs terrestres, d’un rythme de repos ? (…) Les grands bancs de Terre-Neuve ne sont plus ce qu’ils étaient. Les morues disparaissent, on ne peut pas continuer à ce rythme-là. »

Critique de la pêche intensive, elle alerte également sur le réchauffement des eaux en zones polaires via des rapports signés, en 1938 et 1939, par l’observatoire des pêches, ancêtre de l’Ifremer. C’est le début d’un engagement de plus de 60 ans pour le monde marin, royaume mystérieux et déjà si fragile. 

Pour éveiller les consciences, elle produira de nombreux articles de presse destinés au grand public, des conférences, quelque 45 000 clichés ainsi que plusieurs livres dont Racleurs d'océans, (1953) et Géants des mers chaudes, (1957). A ses heures, elle se faisait poète pour traduire son exaltation profonde pour le monde marin sans lequel “[elle] serait morte”.

S’insérer au coeur d’un monde hostile, y insuffler d’autres possibles

Lorsque la Seconde Guerre Mondiale éclate, Anita Conti devient la première femme à s’engager dans la Marine Nationale, l’armée étant intéressée par ses connaissances techniques en matière de pêche. Lorsqu’on lui demandait si elle était un garçon manqué, elle aimait répondre “non, je suis une femme réussie !”.  Mais son obsession demeure centrée sur le maintien de l’équilibre du biotope marin. 

Bien vite, elle préféra donc partir le long des côtes africaines où elle restera plus d’une décennie pour apprendre des techniques locales, enseigner des méthodes de pêche durable et œuvrer à l’implantation de fermes aquacoles. Au Sénégal ou encore en Guinée, elle parvient une fois encore à gagner la confiance des pêcheurs. Son obsession ? Permettre aux populations locales de vivre de la mer sans tomber dans les travers de la pêche industrielle…

Toute sa vie elle se battra donc pour rationaliser la pêche, éviter le gaspillage du poisson et l’usage de filets aveugles qui raflent tout sur leur passage. Cette grande dame s’éteindra au bord de l’océan, à 98 ans. 

Elle nous laisse l’inspiration d’un combat mené par Amour pour le monde marin et par fascination, peut-être, pour les pêcheurs. Elle laisse à nos générations le flambeau d’un combat à poursuivre. Elle laisse, enfin, un constat aux airs de présage qu’il tient à nous de changer : 

« L’accroissement de la population, l’aveuglement du profit ajouté à nos progrès techniques nous entraînent au pillage des océans. »

Louna Teisseire

Sources : 

CONTI Anita - Etonnants Voyageurs

Conti Anita  

Sa vie 

L’étonnant destin d’Anita Conti, pionnière de l’océanographie - Celles qui osent

Anita Conti, marraine de l’ESTRAN Cité de la Mer  

Armada : portrait d'Anita Conti, la Dame de la mer, photographe et océanographe du 20ème siècle